• Rencontre entre deux eaux

    « Le soleil n'est pas très haut sur l'horizon, la lumière voilée par quelques nuages matinaux donne à l'atmosphère une épaisseur ouatée.
    Debout à l'arrière du catamaran de 8 mètres, je regarde l'eau d'un bleu intense et profond et profite de ces quelques instants. C'est dans ces moments-là que l'on sent que la vie est palpable, que l'énergie nous entoure.
    La-dessous, à quelques mètres sous la surface, ce n'est plus le monde des hommes mais celui des poissons. Et celui que je vais rencontrer est un des plus dangereux mais peut-être aussi l'un des plus beau. Carcharodon Carcharias, c'est son nom de code. Le Grand Requin Blanc.

    Nous nous trouvons au milieu de 2 océans, là où l'Atlantique sud et l'Océan Indien se rencontrent, la passe de Dyer Island et Geyser Rock. C'est aussi le lieu de vie d'une énorme colonie de lions de mer, non loin de Gansbaai, Afrique du Sud.

    Sally avait répandu le « choum » dans la mer, depuis maintenant une demi-heure. Cette décoction d'huile, de sang de thon et de chair de poisson diffuse dans l'eau une trace quasi infaillible pour notre visiteur.
    Mais mes yeux ne décèlent aucune ombre aux alentours du bateau ni d'aileron fendant la surface de cette immensité marine qui nous entoure.

    Mon regard descend alors vers les 4 flotteurs qui maintienne la cage en limite de surface. Amarrée à l'arrière du catamaran, elle sera mon unique protection. Une trappe de 50 centimètres de côté permet au plongeur d'y descendre et d'observer la faune environnante mais aussi d'y être observé.
    Bien que totalement en acier, elle me semble une bien piètre barrière face à la mâchoire si puissante d'un grand blanc. J'ai beau me dire qu'il est plus dangereux de se promener le long d'une plage bordée de cocotiers, une pina colada à la main que de sauter à l'eau avec un doigt entaillé, je sens mon cœur cogner dans ma poitrine. Il est vrai que 150 personnes meurent chaque année d'avoir reçu une noix de coco sur le crane quand seulement 15 à 20 attaques mortelles sont le fait des requins dans le monde.

    Vêtu d'une combinaison néoprène noir, d'un masque et de palmes, je m'apprête à sauter par la trappe. Je saisi le long tuyau qui me permettra de respirer sous l'eau et me laisse glisser dans l'onde salée. Je suis comme dans un rêve, la réalité s'estompe avec les bruits alentours, je ne perçois plus que le son touffu des bulles qui s'échappent de mon détendeur.
    La cage en mailles croisées est pourvue à hauteur d'yeux d'une ouverture d'environ 30 centimètres de haut, sur tout son périmètre. Pour qui s'approche de cet espace libre, la sensation de baigner en pleine mer, sans protection aucune, est intense et terriblement réaliste. Au loin, où que le regard porte, rien n'est visible que l'infini verdâtre.

    Rien. Seuls quelques minuscules poissons tournoient autour de la cage, attirés par notre « soupe » sanglante. Les minutes passent, toujours rien. Je me sens bien et nettement moins tendu.

    Mais soudain, une ombre passe juste au-dessus de ma tête. Je pivote rapidement sur ma droite et avant d'avoir seulement réalisé ce qui se passe, je me retrouve face-à-face avec la plus énorme mâchoire bordée de dents acérées qu'il m'ait été donner de voir.
    Il est là. Un énorme requin blanc. Il flotte entre deux eaux à seulement 1 mètre de la cage.
    Je suis tétanisé et ne peux ôter mon regard de cette gueule monstrueuse. Le requin passe sur la gauche de la cage, frôlant de sa nageoire pectorale le montant en acier. Je le distingue maintenant en entier, son corps fuselé est majestueux, il doit faire dans les 5 mètres. C'est une femelle.
    Elle revient vers moi, le soleil zébrant le dessus de son corps, j'aperçois son ventre d'un blanc immaculé qui lui vaut son nom de scène : la grand requin blanc.
    Il n'y a pas d'agressivité dans son comportement, elle semble curieuse de cette présence inhabituelle dans son milieu. Tous ces sens doivent être en éveil, excités par le champ magnétique issu de la cage métallique. Elle va et vient autour de la cage, s'éloignant de quelques mètres, à la limite de visibilité puis revient tel un fantôme sortant du néant.
    Elle s'approche encore, la gueule légèrement entrouverte. Je vois son œil noir. Il n'exprime rien, paraît froid et vide. Mais il semble me fixer du fond des ages. 350 millions d'années nous séparent, depuis l'apparition des premiers requins dans les océans.
    Elle n'est plus qu'à quelques dizaines de centimètres de moi, je pourrai presque la toucher. J'avance mon bras en dehors de la cage au moment où elle glisse à nouveau vers le fond. Je laisse mes doigts caresser sa peau rugueuse.

    Elle a disparue. Je ne sais pas combien de temps je suis resté ainsi, à fixer le fond de l'océan dans l'attente de la voir revenir.

    La corde serrée autour de ma hanche me tire doucement 3 fois vers l'arrière, c'est le signal de la remontée. La réalité revient à grand pas, je palme doucement vers la trappe et sort la tête de l'eau. Je retire mon détendeur et mon masque : un sourire éclatant aux lèvres et dans les yeux une image à jamais fixée : celle du plus fabuleux animal que j'ai jamais rencontré. »


    Midas Mc Leod.
    Gansbaai, Afrique du Sud.
    20 Décembre 2000.



    Récit imaginaire mais pour moi l'un de mes prochains trips si je retourne en Australie ou en Afrique du Sud. Flippant au-delà de l'imaginable je crois mais on doit se sentir vraiment vivre après cela. Avec l'envie de crier bien haut : « j'ai nager avec un grand requin blanc ! »

    Sur une idée de Mark Carwardine.

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :